Nous avions à coeur de mettre en avant le statut d’officier public ministériel, propice à la réactivité et à l’efficacité

23/10/2021

Découvrez l'interview de Sophie Jonval dans le Journal Spécial des Sociétés


Journal Spécial des Sociétés - Samedi 23 octobre 2021 – numéro 75 Interview

 

« Nous avions à coeur de mettre en avant le statut d’officier public ministériel, propice à la réactivité et à l’efficacité »

Entretien avec Sophie Jonval, présidente du CNGTC

 

Au lendemain du 133e congrès du Conseil national des greffiers des tribunaux de commerce qui s’est tenu le 30 septembre dernier, nous avons souhaité nous entretenir avec la présidente du CNGTC, Sophie Jonval. L’occasion de revenir sur les temps forts de ce rendez-vous annuel, mais, plus largement, sur l’avenir de la profession qui a su, en cette période de crise, maintenir la continuité de la justice commerciale grâce à des outils numériques innovants.

Le 30 septembre dernier s’est tenu le 133e congrès des greffiers. Quels moments forts retenez-vous ?

Je retiens avant tout le plaisir de se retrouver, après une précédente édition organisée en distanciel. 195 confrères de la métropole et d’outre-mer sur les 230 greffiers que compte la profession, mais aussi les partenaires, notre autorité de tutelle et 400 personnes étaient présents, à l’Institut du monde arabe, à Paris, pour une journée d’échanges introduite par le garde des Sceaux, Éric Dupond-Moretti. Le ministre de la Justice a, à cette occasion, témoigné toute sa confiance en la profession, en saluant particulièrement la mobilisation qui a été la nôtre lors des confinements successifs, participant au maintien de l’activité de la justice commerciale. Il est également revenu sur l’évolution de nos missions, notamment en ce qui concerne la nouvelle procédure de traitement de sortie de crise.

La journée était organisée en deux temps : durant la matinée, les intervenants se sont succédé avec un focus porté sur le statut d’officier public et ministériel du greffier des tribunaux de commerce et son cadre réglementé. Il y a ainsi été question de la discipline et déontologie de la profession, ainsi que de leurs évolutions.

Soulignons que la réforme de la discipline est concernée par le projet de loi pour la confiance dans l'institution judiciaire. Au cours de l’après-midi, une première table ronde, interactive, a permis de recueillir les témoignages de greffiers, mais aussi de présidents de tribunaux quant à leur expérience suite à l’implantation des greffes de commerce dans les départements et régions d'outre-mer. Des échanges vivants et positifs ! La seconde table ronde était de son côté destinée à la lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme par l’effort collectif. Sont intervenus Pascal Daniel, délégué à la Lutte contre la Fraude (DLF), un représentant de TRACFIN, adjoint à la cheffe du département des affaires institutionnelles et internationales au sein de TRACFIN, Éric Belfayol, chef de la Mission interministérielle de la coordination antifraude (MICAF), Didier Banquy, président du Conseil d'orientation de la lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme (COLB).

Ce congrès était organisé autour du « greffier, entrepreneur de confiance du service public ». Pouvez-vous revenir sur le choix de ce thème?

Nous avions à coeur de mettre en avant le statut d’officier public et ministériel, propice à la réactivité et à l’efficacité, et qui offre une agilité dans nos actions, sans peser sur les finances publiques.

En cette période de sortie de crise, comment se portent les entreprises françaises aujourd’hui ? Doit-on s’attendre à des défaillances d’entreprises pour les plus fragiles dans les mois à venir ?

Aujourd’hui, les entreprises françaises ne sont pas dans un contexte de défaillance.

Dans cette période inédite, elles ont pu s’appuyer sur un plan solide de sortie de crise, avec notamment la mise en place des aides gouvernementales. Nous sommes encore dans un plan de sortie de crise progressive qui s’associe à une reprise nette de l’activité. Nous constatons ainsi une forte baisse des procédures collectives, avec un maintien, voire une hausse dans certains secteurs, des créations d’entreprises. La situation catastrophique annoncée par certains ne s’est pas produite. Nous pouvons certainement assister, dans les mois à venir, à un rebond des défaillances d’entreprises, mais les économistes ne craignent plus un mur de faillites, comme il avait pu précédemment être annoncé.

Dans ce contexte, les greffiers restent aux côtés des entreprises au quotidien. Nous nous efforçons de simplifier l’accès à nos juridictions commerciales et de faire en sorte que le RCS reste un registre de transparence économique, que nous souhaitons rendre encore plus performant pour continuer à favoriser le développement économique de la France.

En 2020, la profession a pu s’appuyer sur les outils numériques développés au cours des 30 dernières années pour assurer la continuité de la justice commerciale. De quels outils s’agit-il ? Et quelles sont les innovations en cours de développement ?

Pendant le premier confinement, nous avons en effet pu compter sur un ensemble d’outils numériques déjà matures.

Face à la fermeture des guichets, la plateforme de formalités Infogreffe, qui existe depuis plus de 30 ans, a notamment pu répondre efficacement aux besoins des entreprises, avec 1,5 million de formalités enregistrées en 2020.

Il y a aussi le tribunal digital, qui est apparu très utile pour les entreprises, lesquelles ont pu saisir directement leur juridiction en ligne pour prévenir de leurs difficultés. Avec MonIdenum, véritable identité numérique sécurisée, l’identité du demandeur était assurément vérifiée. À titre d’exemple, en un an, on avait enregistré 1 000 saisines pendant le confinement, autant que sur deux mois. Nous venons d’ailleurs d’atteindre un palier symbolique, avec l’enregistrement du 10 000e dépôt.

Pour sa part, l’Observatoire statistique national tend à « prendre le pouls » de l’activité économique et entrepreneuriale française, via la publication d’un baromètre trimestriel et de « Flashs Covid », réalisés pour répondre aux besoins engendrés par le contexte. Ce service rend publiques de multiples données, et peut notamment constituer une ressource précieuse pour les collectivités territoriales, en leur donnant une vision précise de l’activité économique de leur territoire.

Data infogreffe constitue également une source d’information pour les entreprises, en donnant accès aux données ouvertes des greffes.

Et nous poursuivons en effet notre développement, avec notamment l’open data des décisions de justice, un dispositif qui concerne donc les décisions rendues par les 141 tribunaux de commerce et qui doit être effectif fin 2024. Les greffiers transmettront les décisions à la Cour de cassation, qui est l’opérateur de cette mise à disposition du public.

Les toutes premières audiences d'ouverture de procédures collectives à distance ont également été mises en place durant cette période de confinement. Pouvez-vous nous en dire plus ?

Dans l’urgence, il a fallu mettre en place ce service qui n’avait jamais été expérimenté auparavant. Ce nouveau dispositif s’inscrivait dans la loi d’urgence, pour tenir des audiences à distance. La visioconférence n’avait pas encore fait ses preuves en la matière, mais nous nous sommes adaptés et avons innové.

Le premier confinement a débuté, et le 25 mars, nous étions déjà à la recherche d’un opérateur pour répondre à ce besoin. Pour préserver la confidentialité propre au secret des procédures judiciaires, nous avons choisi de travailler avec la plateforme française Tixeo. Et dès le 1er avril, le service était opérationnel !

700 audiences de procédures collectives (sauvegarde, redressement et liquidation judiciaire et de conciliation) au total ont pu être menées en visio pendant la crise sanitaire. Le système est amené à être pérennisé, mais seulement à la demande du justiciable, et dans le cadre d’affaires aux enjeux limités. Toutefois, dans la majorité des cas, je tiens à rappeler qu’un accompagnement humain est indispensable. Tous ces outils numériques offrent une certaine agilité, mais ne sont certainement pas là pour se substituer à l’humain. Nous ne voulons pas du numérique pour de mauvaises raisons : nous souhaitons plutôt proposer un panel d’accès, mais ça ne remplacera jamais la relation humaine. Cette présence est indispensable ! Il n’est pas question d’automatiser les procédures (un contrôle humain est bien sûr assuré), ni de mettre une machine entre le justiciable et sa justice. Rappelons que certains Français continuent à ne pas avoir accès au numérique, et nous ne saurions les laisser sur le bas-côté.

La loi PACTE a également prévu de créer un organisme unique numérique pour les formalités des entreprises, et le registre national des entreprises intégralement dématérialisé. Quel sera le rôle des greffiers au sein de cette nouvelle organisation et comment le CNGTC s’y prépare-t-il ?

L’article 1er de la loi PACTE n° 2019-486 du 22 mai 2019 a en effet prévu de substituer aux différents réseaux de centres de formalités des entreprises (CFE) un guichet unique électronique, géré par l’Institut national de la propriété industrielle (INPI).

En outre, dans le cadre de la simplification des démarches des entreprises, l’article 2 de la loi PACTE a habilité le gouvernement à prendre par voie d’ordonnance des mesures, avec notamment la création du registre national des entreprises. Il s’agit de la fusion des différents registres des entreprises existants en un registre unique entièrement dématérialisé, également confié à l’INPI, en plus des sociétés commerciales déjà présentes dans le RNCS. Ce nouveau registre national des entreprises détiendra les informations des entreprises artisanales, agricoles individuelles, et les professions libérales, ce qui devrait représenter plus de 10 millions d’entreprises. Ce service a ouvert le 1er juillet dernier pour les formalistes, et prolongera son ouverture au grand public le 1er janvier 2023 sur Data INPI. Offrant une meilleure connaissance des entreprises, ce service vise aussi à favoriser la transparence des relations économiques.

Le CNGTC a aussi été chargé par les pouvoirs publics de gérer le futur registre national des sûretés mobilières (cf. réforme des sûretés prévue par la loi PACTE). Pouvez-vous nous en dire plus ?

Tout à fait, dans le cadre de la réforme des sûretés, un registre unique des sûretés mobilières sera mis en place par décret, avec, là aussi, une ouverture prévue au 1er janvier 2023. Dans ce cadre, nous nous sommes également vus confier la tenue du registre des hypothèques maritimes (avec un transfert de compétence au 1er janvier 2022) et des warrants agricoles, précédemment tenus par les douanes et par les tribunaux judiciaires. Pour sécuriser les outils digitaux, ce service sera basé sur la technologie blockchain, déjà utilisée dans la mise à jour du RCS entre les greffes.

Ce registre unique de toutes les sûretés mobilières des entreprises offrira une plus grande lisibilité et un meilleur accès à l’information sur l’endettement et le financement de l’entreprise française.

Le projet de loi pour la confiance dans l’institution judiciaire est en train d’être étudié au Sénat. Les greffiers ont été consultés dans l’élaboration des textes. Quelles ont été leurs recommandations et propositions ?

Tout un pan de ce texte prévoit en effet la réforme de la déontologie des professions réglementées, et notamment des officiers publics ou ministériels dont nous faisons partie. Le pendant de ce statut, et du monopole dont nous bénéficions, est aussi assorti d’obligations de réglementations et de contrôle. Or, les textes qui régissent la discipline des greffiers des tribunaux de commerce et de sa déontologie étaient des textes relativement anciens, qui étaient devenus quelque peu inopérants, parce que la société et la profession évoluent. Nous nous étions donc demandeurs de cette réforme, et nous étions rapprochés à ce titre de la Chancellerie, qui travaillait de son côté sur des propositions dans le cadre de la loi confiance. Ce texte est très consensuel et nous a été soumis pour consultation. Nous avons fait quelques observations à la marge, mais sur l’esprit du texte, il y avait vraiment un consensus. Cette réforme nous satisfait et nous l’accueillons favorablement.

Enfin, vous étiez présente le 18 octobre, à Poitiers lors du lancement des États généraux de la justice. Pouvez-vous nous en dire plus ?

J’ai en effet été conviée aux États généraux de la justice, et ai eu l’honneur d’avoir été sollicitée par le garde des Sceaux pour faire partie de l’un des sept groupes de travail ; plus précisément celui concernant la justice économique et sociale. Nous allons à ce titre réfléchir à l’analyse des écueils et formuler des propositions de réformes de la justice, à plus ou moins long terme. C’est ensuite le gouvernement qui décidera de les mettre en oeuvre ou non. Cela s’appuie aussi sur une large consultation des citoyens, sur le regard qu’ils portent sur leur justice économique, pénale et civile.

Ils sont ainsi invités à témoigner sur la plateforme « Parlons justice ».


Propos recueillis par Constance Périn

 

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